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Trump s'est fait manipuler : sa stratégie part à la dérive

Par Andrew Korybko − Le 16 juillet 2025 − Source  korybko.substack.com

Zelensky, les faucons étasuniens anti-russes, Melania et les médias dominants ont chacun à sa manière exploité ses faux espoirs de voir Poutine accepter un accord de partenariat et de cessez-le-feu.

De nombreux observateurs se démènent en essayant de comprendre la décision prise par Trump  dans son choix aussi maladroit que périlleux entre pratiquer une escalade radicale de l'implication étasunienne dans  le conflit ukrainien ou se détourner de ce conflit. L'analyse citée ci-avant conclut qu'il s'est fait manipuler par ses conseillers, qui ont exploité ses faux espoirs de voir Poutine accepter un cessez-le-feu ne résolvant pas les causes profondes et sécuritaires du conflit, en échange d'un  partenariat stratégique centré  sur les ressources. Nous allons ici développer cette observation.

Trump avait fait campagne sur la promesse de mettre fin au conflit en Ukraine « en 24 heures », ce qu'il a par la suite reconnu être une «  exagération«. Il avait affirmé que son amitié avec Poutine et ses dons de négociateurs lui permettraient facilement d'y parvenir. Dans la poursuite de cet objectif, Trump a essayé de séduire Poutine  en accusant Biden et Zelensky de s'être rendus responsables du conflit, accordant du crédit aux affirmations de la Russie selon lesquelles les aspirations de l'OTAN en Ukraine posaient un problème pour la sécurité de la Russie, et en promettant que « la Crimée restera russe » après la fin du conflit.

Dans l'objectif de faire passer sa proposition de cessez-le-feu inconditionnel, ayant pour objet essentiel de geler le conflit sur la Ligne de Contact, Trump a également proposé à la Russie  un partenariat stratégique centré sur les ressources. De son côté, Poutine a suggéré la même chose, mais avec pour intention d'encourager Trump  à tordre le bras de Zelensky pour lui faire accepter les concessions demandées par la Russie en vue de la paix. Tout cela n'a débouché sur aucun résultat, en raison du blocage qui s'en est suivi, et il semble que Trump ait mal pris la chose à titre personnel, ce qui a pu le rendre vulnérable à des manipulations.

Après la signature au printemps de l'accord étasuno-ukranien  sur les matières premières, Zelensky s'est mis  à parler plus fort de son intérêt  déjà exprimé pour un cessez-le-feu inconditionnel, ce qui a poussé Trump à penser que Poutine constituait l'unique obstacle vers la paix, en raison des conditions posées par le dirigeant russe au mois de juin 2024  pour un cessez-le-feu. Trump avait déjà émis l'hypothèse selon laquelle Poutine «  le poussait doucement«, si bien que la volte-face rhétorique pratiquée par Zelensky, partant d'une position consistant à se battre jusqu'à la défaite stratégique de la Russie, vers un positionnement appelant à un cessez-le-feu inconditionnel, a été stratégique et s'est produit au bon moment.

Il n'y a pas eu que Zelensky murmurant à l'oreille de Trump que Poutine se jouait de lui ; il y a également eu les faucons anti-russes comme Lindsey Graham, et même Melania, sa propre épouse, au sujet de laquelle Trump  a révélé lundi qu'elle remettait en question ses « merveilleux » appels téléphoniques avec Poutine car la Russie continuait de bombarder l'Ukraine. En parallèle avec cela, les médias dominants ont affirmé que Poutine «  humiliait« Trump, dans le but de tirer parti de sa fierté et de son désir de s'attirer les éloges de ses critiques, pour le pousser vers une dérive stratégique.

Il est probable que l'opportunisme mercantile de Trump a ensuite fait taire les doutes qui pouvaient subsister sur la nécessité d'arbitrer (maladroitement) les choix après que l'OTAN a accepté de payer  au prix fort les armes étasuniennes que l'organisation enverrait ensuite en Ukraine pour limiter l'implication directe des États-Unis dans le conflit. De son point de vue, c'est l'Europe qui allait payer les frais de l'escalade à suivre et même ses conséquences si la situation devait échapper à tout contrôle, si bien qu'il n'était pas nécessaire de réfléchir davantage sur cette nouvelle approche tripartite.

Trump s'est donc fait manipuler vers cette dérive stratégique par Zelensky, les faucons étasuniens anti-russes, Melania et les médias dominants, chacun d'eux exploitant à sa sauce ses faux espoirs de voir Poutine accepter un accord de partenariat et de cessez-le-feu. L'OTAN a alors tiré parti de son opportunisme mercantile en acceptant de payer au prix fort les armes étasuniennes que l'alliance enverra à Kiev. Pour décevant que cette situation puisse être aux yeux de nombreux observateurs, y compris les stratèges russes, le bon côté des choses est que Trump reste réticent vis-à-vis d'une escalade radicale de l'implication directe des États-Unis.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la  Guerre hybride.

Note du Saker francophone

Reste à arbitrer s'il est plutôt édifiant ou plutôt horrifiant de constater que Trump lui-même n'a toujours pas compris les causes profondes du conflit en Ukraine. Le fondamental de toute diplomatie et de toute négociation est de savoir se mettre à la place de son interlocuteur. Manifestement, on en est encore loin.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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